Quatrième de couverture
Depuis les années 1960, de nombreuses expériences théâtrales ont revendiqué en France un clair dessein politique.
Inscrit au cœur des luttes (anti-impérialistes, ouvrières, féministes, immigrées, homosexuelles, altermondialistes, etc.), ce théâtre militant s'est donné pour but de contribuer, à sa manière, aux combats d'émancipation de son temps. Injustement déprécié ou ignoré, il constitue pourtant tout un pan de l'histoire théâtrale. Et c'est cette histoire inédite et passionnante que l'on découvrira dans cet ouvrage extrêmement documenté.
Comment représenter la colère, l'injustice et l'espérance ? Quelles formes pour dire la lutte ou expliquer les mécanismes du capitalisme ? Et à qui de telles représentations doivent-elles être destinées ? Contrairement aux idées reçues, le théâtre militant n'a jamais cessé d'inventer des solutions dramaturgiques et scéniques pour mettre en scène le présent : un présent à transformer. Héritier d'Erwin Piscator, de Bertolt Brecht et des troupes d'agit-prop soviétiques, ce théâtre n'est pas homogène : il est traversé d'options politiques et esthétiques diverses, voire contradictoires, d'Armand Gatti à Augusto Boal, en passant par Alain Badiou, André Benedetto et de nombreux collectifs (la Troupe Z, Al Assifa, le Levant, le Groupov...).
Revenir sur ces propositions, sur leurs richesses et leurs impasses, c'est tout autant s'opposer à l'oubli que tenter d'ouvrir des pistes pour le théâtre militant d'aujourd'hui.
Extrait :
Seule une minorité échauffée par l'astre d'Avignon avait osé crier «Vilar, Béjart, Sa-la-zar !» en juillet 1968. La majorité des militants qui s'intéressent aux arts du spectacle rejettent pourtant, par ignorance plutôt que par mépris, l'héritage que la gauche traditionnelle revendique dans ce domaine. L'institutionnalisation du théâtre populaire leur semble une preuve suffisante de l'ambiguïté des idéaux des pionniers. L'expérience de Chaillot leur paraît suspecte, le national corrompant le populaire. Mesurant mal ce que la scène publique devait à Maurice Pottecher, Henri Barbusse, Romain Rolland, André Antoine, Firmin Gémier, Léon Chancerel, Jean Vilar ou Jean Dasté, ils taxent de récupération les libéralités de l'administration culturelle, non sans qualifier ses retraits de répression. Parmi les dramaturges contemporains, ils retiennent Michel Vinaver pour Les Coréens (1955) et La Demande d'emploi (1971-1973), Jean Genêt pour Les Paravents (1961 et 1966) plus que pour Les Nègres (1959), Armand Gatti pour La Passion du général Franco, interdite par Michel Debré en décembre 1968, enfin Jean-Paul Wenzel pour Loin d'Hagondange (1976) et son «théâtre du quotidien». Le sort d'un Jean-Louis Barrault les indiffère, depuis qu'il fut déclaré symboliquement mort lors de l'occupation de l'Odéon. Ils ont vent des recherches des metteurs en scène de la relève, les Roger Planchon, Antoine Vitez, Patrice Chéreau, Jean-Pierre Vincent, Jean Jourdheuil, Bernard Chartreux, André Engel, Georges Lavaudant. Rares sont les activistes qui prennent le temps de participer à Nancy à la fête d'un théâtre libéré de ses carcans et de ses corsets, au contact du Living Théâtre, du Bread and Puppet, de Bob Wilson, de Tadeusz Kantor et Jerzy Grotowski. Les gauchistes parisiens suivent de plus près les initiatives des troupes installées à la Cartoucherie : ils saluent le Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine, la Tempête de Jean-Marie Serreau, sans omettre l'Aquarium de Jacques Nichet, Didier Bezace, Jean-Louis Benoît, Daniel Bougnoux et compagnie, dont ils apprécient surtout la mise en scène d'une grève dans La jeune lune tient la vieille lune toute une nuit entre ses bras (1976).
Les revues thématiques qui fournissaient un espace de dialogue entre arguments stratégiques et considérations esthétiques pouvaient les éclairer sur plusieurs questions théoriques qu'ils affrontaient. Encore fallait-il qu'ils y jetassent un oeil, entre la dissection d'un chapitre du Capital et l'exégèse d'une thèse de congrès. Pour de multiples motifs parmi lesquels son impact sur les masses ressort au premier plan, le cinématographe occupait davantage les esprits que le théâtre. L'extrême gauche fréquente les ciné-clubs où ses sympathisants profitent des débats suivant les projections pour échafauder une critique à la fois érudite et engagée. Lecteurs occasionnels des Cahiers du cinéma (publiés depuis avril 1951), qui traversent leur période rouge sous l'influence de Jean-Louis Comolli, Serge Daney et Serge Tubiana, ils consultent parfois Cinéthique, fondée par Marcel Hanoun et Gérard Leblanc (parue de 1969 à 1985), voire Positif (lancée en 1952), pourtant accusée par les précédentes de charrier un discours «confusionniste-réactionnaire».